Contraintes juridiques, financières, techniques voire parfois institutionnelles, peuvent décourager les acteurs traditionnels de l’immobilier dans des interventions de restauration / réhabilitation dans l’ancien, en particulier en espaces protégés. La transformation d’un atelier passementier stéphanois en quatre logements permet de tirer les leçons d’une expérience innovante en « autopromotion ». Ouvre-t-elle la voie à de nouveaux possibles en centre ancien ?
Situation : Saint–Étienne, quartier du Crêt de Roc
Surface : 460 m²
Maître d’ouvrage : auto promotion en SCIA
Architecte : agence Busquet Saint-Etienne (plateaux)
Programme : reconvention d’un atelier de passementiers en quatre logements à Saint-Étienne.
Prix (plateaux) : 1 000 euros/m² (ht ?)
Durée : vingt mois
Un territoire fortement fragilisé mais inscrit dans la dynamique du renouvellement urbain
Après avoir été la première ville de France à connaître une révolution industrielle et urbaine entraînant une croissance importante, la ville de Saint-Étienne a subi le bouleversement d’une crise économique importante à partir des années 1960, atteignant ses trois moteurs structurels (textile, mine, aciéries). Entre 1975 et 2017, la ville a perdu 60 000 habitants, essentiellement dans le centre ancien.
Au début des années 2000, le contexte urbain stéphanois est caractérisé par la présence d’indicateurs sociétaux passés « au rouge » :
- perte d’habitants
- paupérisation du centre ancien
- forte vacance résidentielle (15-17%) et commerciale (30%)…
- importante part de logements inconfortables, dégradés voire insalubres…
Le quartier du Crêt de Roc dans lequel se situe le projet est implanté au nord-est du centre-ville : il est caractérisé par la topographie singulière d’un site collinaire couronné par un important cimetière (site inscrit) et offrant de remarquables panoramas sur la ville. Il a accueilli dès le XIXe siècle de manière privilégiée du bâti passementier, caractérisé par une mixité logement-atelier, son inscription dans la pente, la présence de hauts volumes éclairés par de grands percements offrant une bonne prise de lumière.
Le quartier a souffert jusqu’au début des années 2000 d’une forte déprise et d’une paupérisation importante. Il est inscrit depuis dans une vaste opération de renouvellement urbain (Grand Projet Urbain) inscrit au programme de l’ANRU depuis 2011 et en quartier de veille active depuis 2014.Le quartier du Crêt de Roc est protégé par une ZPPAUP approuvée en 2004, visant à préserver les spécificités architecturales et urbaines, reposant sur la singularité des alignements passementiers, le rapport à la pente, l’architecture des anciens ateliers.
Genèse du projet
L’histoire commence simplement par le désir d’un jeune couple, Mélanie et Alexandre, d’acquérir un atelier passementier « dans son jus », sans avoir subi de transformations structurelles importantes. Il s’adresse à la SEDL (société d’équipement du département de la Loire) qui a passé une convention urbaine avec l’ANRU pour la réhabilitation des immeubles du crêt de Roc. La SEDL propose un immeuble au Crêt de Roc, n’ayant jamais trouvé de repreneur professionnel étant donné les diverses contraintes (prescriptions de la ZPPAUP, maintien du volume des ateliers…) ne permettant pas un bilan financier bénéficiaire.Le couple envisage alors ce projet à plusieurs sans en avoir d’expérience préalable et surtout sans connaître toute la complexité de ce type de montage : l’aventure commence. Il s’agit en effet désormais d’organiser un montage permettant non seulement d’assurer un projet commun qui soit sécurisé juridiquement et sécurisant financièrement pour chacun, mais aussi de trouver les partenaires privés et professionnels pour mener à bien la démarche.
Une agence d’architecture pour accompagner le projet de restauration en plateau :
Une fois l’esquisse dessinée par le jeune couple, ils concrétisent leur projet en passant la main à une agence d’architecture stéphanoise étant déjà intervenue sur un passementier, l’agence Busquet. Celle-ci a accompagné le projet jusqu’au dépôt du pc pour déterminer les plateaux et assurer le projet de restauration façades et toiture.
Les partenaires du projet : un montage complexe
La deuxième étape à franchir est alors de définir le projet dans ses aspects juridiques et financiers, ce qui peut se faire sans trouver des partenaires privés.
Le montage administratif choisi est alors celui de la SCI d’attribution (SciA)
La SCI d’attribution se distingue des autres types de sociétés civiles immobilières par la nature de son objet. L’objet social de la SciA consiste à construire ou acheter des immeubles, en vue de les diviser par fractions, à attribuer aux différents associés en nue-propriété, en jouissance ou en pleine propriété. Cela inclut en outre la gestion et l’entretien des biens immobiliers avant l’opération de partage. La SciA permet d’organiser en amont le partage d’un ensemble immobilier, préexistant ou à créer. La SciA est particulièrement adaptée dans une optique de rénovation d’un bâtiment ancien. Elle permet d’acquérir le terrain ou le bâti, de financer ensemble et de gérer les travaux de construction ou de rénovation, puis de diviser l’immeuble en lots.Dans le cas du projet de Mélanie et Alexandre, la SciA a été intéressante sur de nombreux aspects (sécurité avec des statuts de société…). Chaque associé de la Scia détenait ainsi des parts sociales proportionnellement à la surface de son futur bien. À la fin des travaux, la SciA est dissoute et la copropriété est créée de fait.
De nombreux notaires sont rencontrés, cependant, une seule étude notariale voudra s’engager dans ce type de montage peu connu et complexe à mettre en œuvre. L’étude notariale retenue a ainsi accompagné les futurs acquéreurs dans ce montage en veillant à la sécurisation de chacun.
Le couple se tourne également vers une agence immobilière pour les accompagner à trouver des partenaires de projet et donc futurs voisins. Une courtière en immobilier est également jointe à la démarche pour recevoir les candidats, expliquer le financement du projet et ses conditions et s’assurer de leur solvabilité et ainsi permettre la sécurisation de tous.
L’étape suivante est liée au financement du projet, une étape qui était appréhendée avec sérénité après bien des épreuves mais qui s’est révélée être la plus difficile à aboutir : trouver un organisme bancaire acceptant le montage. Le projet ne rentre dans aucune case. Bien que chaque personne fût finançable à titre individuel, les banques ne savent pas financer et assurer ce type de projet collectif et méconnu. Plusieurs mois sont nécessaires avant de trouver l’organisme financier qui voudra bien suivre l’aventure. Ce financement est rendu possible grâce à de nombreux aller-retours entre les différents partenaires (conseillère financière, le notaire, le jeune couple…), ce qui a nécessité un investissement important de la part de chacun. Les aspects techniques, financiers et juridiques étant étroitement liés et imbriqués, le rôle de chacun a été revisité (entrecroisement des compétences et métiers).
Le permis de construire peut alors être déposé. Son instruction implique de nombreux allers-retours avec la ville et l’UDAP, en particulier pour « négocier » l’acceptabilité du remplacement des menuiseries bois par des menuiseries métalliques isolantes. Six mois de travaux sont nécessaires pour que les nouveaux propriétaires puissent prendre possession de leurs plateaux.
La SCIA est dissoute bien après les travaux de chacun. Chacun devient propriétaire de son lot, la copropriété prend ainsi vie. Son règlement avait été travaillé en amont et validé par tous.
Caractéristiques du projet
Les principes arrêtés : + rénovation globale avec conservation de l’esprit originel des lieux : maintien de la double hauteur et du volume des anciens ateliers, conservation des grandes baies d’atelier… + restauration à l’identique des façades en grès houiller + des logements traversants, bénéficiant d’une double orientation est/ouest + des espaces extérieurs : deux logements possèdent un jardin, deux autres une terrasse tropézienne. L’organisation des logements s’adapte au site avec des duplex et des triplex qui permettent d’exploiter pleinement les volumes.À retenir
- Un outil de renouvellement urbain : la rénovation de l’immeuble répond à la politique de la ville de Saint-Etienne de conserver et mettre en valeur son patrimoine historique, architectural (le passementier) et urbain (la rangée, la conservation du cœur d’îlot). Elle illustre la possibilité de réinvestir ce patrimoine singulier des passementiers et de lutter contre la vacance résidentielle du quartier ;
- Un exemple réussi d’adaptation aux usages d’aujourd’hui d’un type bâti patrimonial particulier et contraint ;
- L’originalité du montage administratif juridique et financier : les futurs occupants sont les acteurs de la construction en devenant maître de l’ouvrage de l’opération par le biais de la constitution d’une SCIA.
- Un bilan financier avantageux : l’acquisition est réalisée sans marge et avec très peu de frais. Elle permet de concentrer toutes les ressources financières sur l’essentiel : la qualité de la réalisation et l’obtention d’un prix d’acquisition maîtrisé. La mutualisation des coûts (foncier, notaire, travaux) a été au-delà de ce qui avait été imaginé, avec le choix commun de certaines entreprises qui ont participé aux aménagements intérieurs…
- une réponse à la volonté grandissante des habitants d’être acteurs de leur projet d’habitat, de sa conception à sa gestion : travail en amont réalisé en direct avec les acteurs professionnels (architectes, BE).
- Une ingénierie technique lourde : le projet n’aurait sans doute pas pu être mené à bien sans l’investissement temporel considérable du jeune couple.
Un processus reconductible ? Des pistes pour demain ?
L’intérêt de la démarche réside dans le sauvetage d’un immeuble de qualité et par la nouvelle offre de quatre logements en cœur de ville.
Un montage impliquant un investissement temporel équivalent à un 1/3 temps. La réussite de l’expérience semble avoir essentiellement reposé sur la persévérance du pilote de l’opération.
Certes, des errances auraient pu être évitées. Cet exemple illustre la possibilité d’intervention sur des immeubles anciens patrimoniaux dans des contextes où la tension immobilière n’est pas suffisante pour attirer des investisseurs professionnels.
Sans doute serait-il intéressant de :
- proposer une assistance technique et administrative aux porteurs particuliers, afin de faciliter leurs démarches.
- sensibiliser les acteurs immobiliers (agences immobilières, organismes prêteurs, notaires…) à ce type de projet pour accompagner les prétendants sans les décourager.
Bravo donc à Mélanie et Alexandre qui ont ouvert ainsi de nouvelles possibilités d’intervention sur les immeubles anciens trop souvent condamnés par un système administratif et financier inadapté !